Voix du Monde

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Des “jeunes en difficulté” dans un royaume camerounais

Voyage exceptionnel pour sept jeunes en difficulté, résidents de la Fondation Sandoz au Locle : ils sont partis trois semaines au Cameroun pour travailler à Bapa où ils étaient les invités du roi, à l'occasion de funérailles royales. Galerie photos en bas de page.

Il est deux heures du matin. Vincent, Chagy, Mukhtar, Raphaël, Korab, Julien et Samir sont assis dans le salon du roi Bapa au Cameroun. Vingt heures plus tôt, ils étaient encore à la Fondation Sandoz au Locle, où ils résident suite à un placement par les services sociaux ou une sanction pénale. Sa majesté Simeu David II s’est levé au milieu de la nuit pour les accueillir. Une énorme défense est placée devant le roi qui souhaite la «bonne arrivée » à ses invités occidentaux. Ces adolescents âgés de 14 à 17 ans et leurs accompagnants sont à Bapa pour travailler sur des chantiers. Durant deux semaines, ils vont manier pelles et pinceaux, afin d’aménager une source derrière le palais royal et peindre l’école secondaire du village. « Nous avons organisé ce voyage dans un but éducatif, explique Mathieu Gillabert le chef du camp. Nos jeunes ne se rendent pas toujours compte de la chance qu’ils ont de vivre en Suisse, nous souhaitons leur montrer une autre réalité, tout en les impliquant dans un travail qui soit valorisant et utile. »

Invités d’honneur
Valorisés, les jeunes le seront ! Presque tous les soirs, ils mangeront à la table royale et la population les considérera comme des invités d’honneur. Mais pour l’instant, le groupe suisse est fatigué. Les voyageurs sont silencieux et un peu intimidés par ce chef qu’il faut saluer en se baissant et en tapant des mains. Un serviteur du roi les conduit à leur nouveau logement, une grande bâtisse de deux étages mise à disposition par un notable du village. Le groupe neuchâtelois est chanceux, la maison a l’eau courante, l’électricité et des sanitaires. Malgré ce relatif confort, le choc culturel est important pour les jeunes qui se retrouvent soudainement au cœur d’un royaume inconnu, peuplé de princes, de reines, de serviteurs ou de notables. Eux qui s’opposent si souvent à l’autorité et aux règles se retrouvent plongés dans une société extrêmement hiérarchisée et codée.

Protocole à respecter
Sa majesté Simeu David II est un jeune roi, il a succédé à son père il y a dix ans à l’âge de 26 ans. La visite des résidents loclois se déroule à un moment clé de son règne : il devra danser le Zeu, une danse rituelle qui marque à la fois la fin des funérailles du roi défunt et sa consécration, après 10 ans d’initiation. « Nous sommes invités à Bapa à un moment exceptionnel, avertit Vincent Fivaz, un des accompagnants. Nous devons faire attention à respecter le protocole. » Durant tout le séjour, les jeunes joueront le jeu avec un respect qui surprendra leurs éducateurs. « Ici, nous faisons plus attention, avoue Raphaël allongé devant la maison. Nous ne sommes pas chez nous, on ne connaît pas la culture.»
Loin des étiquettes
Le soir, les sept ados soignent leurs cloques ou se lavent à grande eau pour ôter la peinture jaune de leur visage. Parfois, ils quittent la maison pour aller boire un verre au village, l’occasion pour eux de côtoyer la population et de «faire la teuf ». Exceptionnellement à Bapa, le «free style », du rap improvisé, se mêle aux rythmes africains. « C’est beau de les voir retrouver leur joie de vivre, je ne les ai jamais vus ainsi, commente Abdel un éducateur. Ici, ils n’ont pas l’étiquette de jeunes à problèmes, ils sont considérés et ça leur fait du bien. » Bien sûr, les trois semaines ne se déroulent pas sans heurts, des conflits éclatent parfois entre les jeunes et leurs accompagnants : les corvées, les heures de rentrée, le réveil, la répartition de l’argent de poche sont sources de conflits, mais globalement, la cohabitation semble se dérouler dans de meilleures conditions qu’au Locle.

Les fruits du labeur
Après deux semaines, les chantiers sont terminés. L’eau brunâtre de la source est devenue limpide grâce à la construction d’un système de filtrage. Les murs de l’école, autrefois gris, sont colorés de jaune et égaient les salles de classe. L’ambiance y est moins oppressante pour les étudiants qui reprendront les cours lundi. Mais les résidents de la Fondation Sandoz ne seront pas là pour les voir. Ils partent à Kribi pour passer quelques jours de détente au bord de l’océan Atlantique. Sa Majesté Simeu David les accompagne. Il a besoin de se reposer après un mois de festivités liées aux funérailles de son père. Pour les jeunes Loclois, cette cérémonie avec ses masques et ses costumes grandioses aura représenté un des moments forts du voyage. Ils ont même été interviewés par la TV camerounaise qui se demandait ce que faisaient des Suisses au milieu de la foule bamileke…


Valérie Kernen


 Cameroun | 2004