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Le marché de la prostitution s’effrite à Neuchâtel

En un an, un tiers des salons de massage et des cabarets ont fermé dans le canton de Neuchâtel. Conséquence de la nouvelle loi cantonale sur la prostitution entrée en vigueur en 2006 et d’un arrêté réglementant les conditions d’engagement des danseuses de cabaret. Enquête.


La nouvelle loi sur la prostitution et la pornographie (LProst) a déployé ses premiers effets dans le canton de Neuchâtel. Plutôt spectaculaires, les effets. Une vingtaine de salons de massage ont fermé leur porte, depuis l’entrée en vigueur de la LProst le 1er juillet 2006. Neuchâtel qui connaissait un des taux de prostituées par habitants les plus élevés de Suisse n’est désormais plus en tête de liste. Par ailleurs, les cabarets soumis à une autre réglementation ont également vécu une drastique cure d'amaigrissement (voir l'article sur ce site: Cabarets en déconfiture).
La nouvelle législation neuchâteloise s’est inspirée de la loi vaudoise qui oblige toute personne s’adonnant à la prostitution à s’annoncer auprès des autorités cantonales, ce qui se fait également à Genève depuis 1994.

Zone grise importante

L’adoption de ce système de régulation a permis à Neuchâtel de sortir de la « zone grise » ou de la clandestinité une partie du marché du sexe, un secteur qui échappait largement aux autorités par manque d’outils législatifs, de rigueur (les contrôles n’étaient pas aussi fréquents qu’aujourd’hui) et de coordination. « Avant, nous faisions des descentes dans les salons pour vérifier si les prostituées avaient un permis de travail et payaient leur AVS », raconte l’adjoint au chef de la police de sûreté, Frédéric Hainard. « Mais en cas d’infraction, nous avions peu de moyens de répression. Une femme au bénéfice d’un visa de tourisme qui n’avait pas le droit de travailler en Suisse s’en sortait avec une amende de 80 francs. Aujourd’hui, le salon peut être menacé de fermeture, s’il ne respecte pas la loi. »

Pourtant, ce volet répressif n’est pas à l’origine de la disparition du tiers des salons de massage neuchâtelois. Le simple fait de devoir s’annoncer auprès des autorités cantonales semble avoir eu un effet dissuasif. « Les salons qui ont fermé faisaient partie des plus insalubres et des moins bien implantés », analyse Frédéric Hainard. « D’autre part, la LProst exige l’accord signé de la gérance ou du propriétaire des locaux où s’exerce la prostitution, ce qui peut expliquer un certain nombre de fermetures. »
Une protection pour les prostituées

De son côté, le responsable du salon doit désormais s’identifier et s’annoncer auprès de l’Office de surveillance, organe exécutif de la loi, ainsi que les prostituées. « Un des buts du législateur était d’apporter une protection à ces femmes particulièrement vulnérables, en rendant le système plus transparent », explique Olivier Schmid, responsable de l’Office de surveillance et président de la cellule de coordination chargée de la LProst. « Mais le secteur est très instable. Les prostituées travaillent comme indépendantes et louent des chambres dans différents salons, trois jours par-ci, trois jours par-là. C’est un vrai casse-tête ! »

Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, les contrôles effectués par la police ont été menés en moyenne deux fois par mois à La Chaux-de-Fonds et une fois toutes les six semaines dans le bas du canton, où se trouvent la majorité des « lieux de plaisir » ( voir l'encadré 2: Prostitution dans le canton de Neuchâtel). « Les responsables des salons se sentent acculés par la fréquence de nos visites surprises et s’en plaignent, convient Frédéric Hainard de la police cantonale. Mais ça nous a permis d’informer les travailleuses sur les exigences de la nouvelle loi et de repérer certains abus.»

Répression en vue

Aujourd’hui, la phase d’information est terminée. L’Office de surveillance qui estime avoir fait preuve de patience va désormais jouer du bâton. Six décisions de fermeture ont été délivrées à l’encontre de salons illégaux, cinq en ville de Neuchâtel et un à La Chaux-de-Fonds. Les propriétaires peuvent encore faire recours, faute de quoi le nombre de salons de massage aura quasiment diminué de moitié dans le canton.

La reprise en main du secteur souhaitée par les autorités neuchâteloises a eu lieu. Mais jusqu’ici, peu de choses ont été mises en oeuvre pour la « protection des victimes » de l’industrie du sexe et de leur éventuelle reconversion, comme exigé dans la loi (article 1). Une volonté de principe qui n’a pas été suivie de mesures concrètes, la législation étant restée floue en la matière.

Les prostituées et les responsables de salon ont désormais un lien administratif avec l’Etat, qui se dit prêt à soutenir toute fille de joie ayant besoin d’aide. Mais sans mesure proactive, il faudra du temps pour que la confiance s’installe. Si elle s’installe un jour...


Suite du dossier dans Cabarets neuchâtelois en déconfiture


Valérie Kernen


www.voixdumonde.ch -  Suisse souterraine | 2007