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Cabarets neuchâtelois en déconfiture

Seconde partie du dossier "Le marché de la prostitution s'effrite à Neuchâtel". En plus des salons de massage qui ferment les uns après les autres dans le canton de Neuchâtel, de plus en plus de cabarets restent portes closes, depuis l’introduction d'une nouvelle législation cantonale. Quant à la politique fédérale concernant les danseuses de cabaret, elle cultive les ambiguïtés. Analyse.


En 2006, dix-neuf cabarets étaient recensés dans le canton de Neuchâtel. Aujourd’hui, il n’en reste plus que treize et l’érosion n’est pas terminée.
« Au moins deux autres salons devraient fermer prochainement», confie un cabaretier du chef lieu. « On est bien loin de la belle époque où il y avait davantage de cabarets ici qu’à Genève ! »
Plusieurs facteurs ont contribué à la déchéance du secteur dans le canton de Neuchâtel, qui s’est produite au profit d’une amélioration des conditions de travail des danseuses. L’entrée en vigueur, après une longue bataille judiciaire, du nouvel arrêté cantonal destiné à réglementer l’engagement des artistes de cabaret a joué un rôle déterminant. Le texte a été combattu en vain jusqu’au Tribunal Fédéral par les cabaretiers neuchâtelois.

« La situation est devenue très difficile pour nous, en raison de l’augmentation des charges et du nombre de danseuses limité à un maximum de six, regrette le même gérant de cabaret. En ville de Neuchâtel, l’avancée des horaires de fermetures à 2 heures en semaine nous a aussi porté un coup, sans compter la concurrence faites par les salons de massage. Par contre, je pense que l’étroite surveillance menée par le canton est une bonne chose. Elle permet de contrôler les moutons noirs qui discréditent la profession. »

Des droits pour les danseuses

L’application du nouvel arrêté est effectivement suivie de près par le Service des migrations du canton de Neuchâtel. Un poste à 100% est destiné uniquement à la surveillance des cabarets, une situation privilégiée en Suisse romande. « La responsable vérifie tous les contrats d’embauche et auditionne les danseuses si elle suspecte des pressions à leur encontre », explique Serge Gamma, chef du Service des migrations, chargé de délivrer les permis L des artistes extra-européennes. « En cas d’abus répétitifs, on sanctionne le cabaretier en ne délivrant plus d’autorisations de travail pendant au moins trois mois. » Ce qui mène presque inévitablement à une fermeture, en tout cas temporaire, de l’établissement.

Avec ce nouvel arrêté, les danseuses ont désormais la garantie d’un salaire mensuel minumum de 2200 francs, toutes déductions comprises. L’argent doit être versé sur un compte, soumis à vérification. Finis les déductions multiples et les loyers abusifs. « Mais les infractions persistent, nuance Serge Gamma. Certains cabaretiers imposent aux danseuses des jours de congé, qui sont ensuite déduits de leur salaire en toute illégalité. » Il est également probable que des artistes travaillent au-delà des normes légales, tenant leur poste de 16h à 4h du matin. Mais les dénonciations de la part des employées sont rares en raison de la précarité de leur statut et de leur situation de dépendance.

Prostitution interdite

De plus, la loi du silence est de mise dans ce milieu qui gravite aux frontières de la légalité en ce qui concerne la prostitution. Si les artistes de cabaret n’ont, officiellement, pas le droit de vendre leurs charmes, la réalité est tout autre. Selon une enquête nationale du Forum suisse pour l’étude des migrations, « la quasi-totalité des danseuses de cabaret mène, au moins temporairement, des activités qui ne figurent pas dans leur contrat de travail et font explicitement l’objet d’une interdiction».

Une situation schizophrène qui a valu à la Suisse d’être surnommées « le paradis des gogo-girls » et d’être sermonnée par le Comité de l’ONU pour l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes. L’arrêté neuchâtelois a le mérite d’améliorer les conditions économiques des danseuses mais ne touche pas à ce secteur délicat, laissé volontairement flou par le législateur au niveau fédéral (voir l'encadré 2: Danseuses de charme : la Suisse cultive l’ambiguïté).



Valérie Kernen


www.voixdumonde.ch -  Suisse souterraine | 2007